03/10/2025

L’étonnante histoire des chemins creux autour de Kergoët

Un hameau lové dans le bocage morbihannais

Au nord de la commune de Saint-Barthélemy, le hameau de Kergoët se dissimule le long de petites routes étroites et sinueuses. Ici, pas de hauts murs de granit ni d’église imposante. Kergoët, à première vue, c’est la Bretagne intime : quelques maisons anciennes, une ferme, et la mosaïque de champs qui borde le cœur du bourg.

Ce qui frappe dès qu’on s’approche de Kergoët, ce sont les chemins. Ces voies resserrées, parfois si encaissées qu’elles laissent peu passer la lumière, constituent un maillage fascinant, vieux de plusieurs siècles. Le hameau est ainsi célèbre dans la région pour être un des exemples les plus purs de l’art du chemin creux.

D’où viennent les chemins creux ?

Le “chemin creux”, ce mot résonne comme une invitation à l’aventure champêtre. Il s’agit d’un type de sentier typique du bocage breton — et du Morbihan en particulier — délimité par des talus (souvent appelés "levées") couverts de hautes haies. Leur origine ? Un long patient travail des hommes et de la nature, entremêlant fonction, géographie et usage agricole.

  • Érosion et passages répétés : Les chemins creux résultent d’un passage fréquent d’hommes, de bêtes et de charrettes, qui, siècle après siècle, creusèrent la voie dans la terre meuble. L’eau de pluie suivait ces ornières, accentuant encore leur profondeur (Source : CNRS).
  • Talus vivants : Au fil du temps, les talus bâtis pour délimiter champs et pâturages furent plantés d’arbres (chênes, châtaigniers, houx), offrant ombre et abri contre le vent aux voyageurs et bêtes de somme.
  • Parcours anciens : De nombreuses routes actuelles empruntent l’assise d’anciens chemins creux. Certains pourraient dater de l’époque médiévale, voire de l’Antiquité, même si la majorité s’est structurée à partir du XVIIe siècle.

Kergoët, maillage et mémoire des sentiers traditionnels

Dans tout le nord de Saint-Barthélemy, aucun hameau n’offre un maillage de chemins creux aussi conservé qu’à Kergoët. Ici, les sentiers ne servent pas seulement à relier champs et parcelles, ils racontent un mode de vie, une organisation sociale et paysanne.

  • Un carrefour : Trois chemins creux majeurs se rejoignent à Kergoët, suivant une topographie en étoile, fréquente dans le bocage breton. Chacun de ces chemins menait vers un point clé du territoire : l’un vers la fontaine de Saint-Mériadec, un autre vers l’ancien moulin de Kermarquer, le troisième filait vers la vallée du Tarun. Des liaisons vitales pour les habitants autrefois isolés (données extraites du cadastre napoléonien de Saint-Barthélemy, Archives départementales du Morbihan).
  • Des usages pluriels : Si au XIXe siècle, les chemins étaient surtout fréquentés par charrettes et troupeaux, ils étaient aussi empruntés pour rejoindre les marchés (notamment celui de Locminé), ou pour relier les hameaux lors de fêtes et pardons paroissiaux.
  • L’empreinte du bocage : Autour de Kergoët, les chemins creux dessinent le puzzle des anciens enclos agricoles ("clos"), protégés par des talus. Cette singularité paysagère persiste aujourd’hui, quand d’autres communes ont vu disparaître nombre de leurs sentiers au profit du remembrement des terres (Sources : IGN, INRAE, étude “Chemins creux du Morbihan et bocage”, Université Rennes 2).

Vivre et voyager dans les chemins creux : un art local

Se promener dans les chemins creux de Kergoët, c’est faire l’expérience d’un monde particulier. Les haies sont parfois si denses qu’on marche sous la voûte verte formée par les branches. Par endroits, on croise les traces de bêtes sauvages, la mousse épaisse sur les pierres, les restes d’un vieux portail de ferme en schiste.

  • La faune : Ces corridors végétaux abritent une biodiversité rare pour cette latitude. On y observe souvent l’écureuil roux, la huppe fasciée, ou encore des salamandres tachetées en fin d’été.
  • Les saisons : Au printemps, l’odeur de l’ail des ours recouvre certains talus, tandis qu’à l’automne, le chemin se tapisse de feuilles de hêtre dorées. Les anciens racontent que certaines haies ont gardé des pieds de châtaigniers vieux de plus de 150 ans.
  • Un climat bien à eux : L’enfouissement du chemin offre fraîcheur et protection. Même lors des tempêtes hivernales, marcher dans ces sentiers garantit un abri contre le vent.

D’après une enquête menée par Bretagne Vivante en 2022, 68% des chemins creux du Morbihan ont vu leur linéaire diminuer entre 1950 et 2020, principalement pour cause de remembrement agricole et d’élargissement des routes. Kergoët fait figure d’exception, en ayant conservé près de 80% de son réseau d’origine (source : Synthèse “Chemins creux du Nord-Morbihan”, Bretagne Vivante, 2022).

Les chemins creux à Kergoët : histoire, vie rurale et patrimoines

L’association du hameau de Kergoët avec les chemins creux n’est pas qu’une affaire de patrimoine bâti : c’est un héritage vivant, qui structure toujours le quotidien et les liens entre riverains.

  1. Des chemins pour la vie : Jusqu’aux années 1960, les enfants de Kergoët allaient à l’école à pied, par les chemins, raccourcis indispensables. Pour la messe, lors des mariages ou des veillées, ces sentiers étaient le théâtre privilégié des échanges et des rencontres (Témoignages recueillis dans les bulletins paroissiaux et interviews d’anciens, 2019).
  2. Un maillage témoin : Le réseau autour de Kergoët est resté si complet que lors du classement « Inventaire des chemins ruraux de Bretagne » en 2018, il a servi d’exemple modèle pour la conservation et la valorisation de ce type de voie en zone bocagère (Source : Région Bretagne).
  3. Symbolique et toponymie : Plusieurs noms de lieux autour de Kergoët renvoient explicitement à la présence de chemins creux : “Le Treiz ar Garrec” désigne un passage ancien, “Bubri Huela” (Bubry le Haut) était accessible uniquement via un de ces sentiers profonds. Cette toponymie atteste de leur importance dans l’imaginaire collectif local.

Un défi : préserver les chemins creux face aux enjeux contemporains

Le hameau de Kergoët se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins au sens propre et figuré. Si la tradition du chemin creux est bien vivante, elle doit s’adapter aux nouveaux usages. Marcheurs, cyclistes, cavaliers, riverains : tous profitent de ces corridors verts, mais leur préservation dépend désormais d’une gestion partagée.

  • La commune de Saint-Barthélemy a lancé en 2022, en partenariat avec la communauté de communes et le Conservatoire du Littoral, un plan d’entretien doux des talus pour lutter contre la dégradation des haies et la prolifération des plantes invasives (sources : Bulletin municipal 2022).
  • Une journée citoyenne est organisée chaque printemps pour l’entretien manuel de certains tronçons près de Kergoët : élagage, ramassage des déchets, et entretien des abords. Plus d’une quarantaine de bénévoles y participent chaque année (témoin : Bulletin municipal, chiffres 2023).
  • Un balisage pédagogique a été installé en 2021 par l’association « Au fil du Tarun » : il permet d’identifier les principales espèces végétales rencontrées sur les haies traditionnelles, et de rappeler l’histoire de ces chemins.

Au-delà de l’aspect patrimonial, les chemins creux incarnent pour Kergoët une façon de se projeter dans l’avenir en misant sur le tourisme doux, les mobilités non motorisées et le maintien du tissu rural.

Pistes pour une escapade à Kergoët

  • Boucle des chemins creux : Un circuit pédestre balisé de 7 km, “Autour du Tarun”, permet de découvrir le cœur du hameau et ses plus belles portions de chemins creux. Accessible toute l’année, il traverse notamment la vallée humide du Tarun, classée en zone naturelle d’intérêt écologique.
  • Observation naturelle : Durant l’été, plusieurs sorties nature sont organisées avec guides naturalistes pour observer la faune typique des haies bocagères (infos sur le site de la mairie).
  • Patrimoine rural : Une carte interactive disponible à l’office de tourisme détaille l’histoire des sentiers, les anciens moulins, fontaines et croix de chemin, véritables marqueurs de la culture locale.

Redécouvrir les chemins creux de Kergoët, c’est renouer avec un patrimoine qui unit la nature, le passé et l’avenir du territoire. Ce labyrinthe taillé dans la terre, discrètement animée par les saisons et par les pas des promeneurs, demeure l’une des signatures les plus authentiques du bocage de Saint-Barthélemy.

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