28/07/2025

Fontaine Saint-Bieuzy à Saint-Barthélemy : histoires, mystères et croyances d’un patrimoine breton

Un joyau discret niché au cœur de Saint-Barthélemy

À qui ose s’aventurer hors des sentiers battus, la commune de Saint-Barthélemy, dans le Morbihan, réserve quelques trésors. Parmi eux, la fontaine Saint-Bieuzy. Discrète, enveloppée de verdure, elle cultive sa singularité depuis des siècles ; un de ces petits lieux que l’on découvre d’abord par hasard, avant d’y revenir, attiré par son calme et sa force tranquille. Peu de visiteurs devinent ce qu’elle a traversé, ni tout le cortège de croyances qui l’entoure. Pourtant, la fontaine ne cesse de raconter, à qui sait écouter, une histoire dense, mêlant le sacré, la légende et la vie rurale bretonne.

Saint Bieuzy : entre histoire et légende

Impossible de parler de la fontaine sans évoquer celui qui lui a donné son nom. Bieuzy, que l’on fête le 24 novembre, est une figure toujours vivace dans la tradition locale. Né au VIe siècle, selon la légende (source : Albert Le Grand, « Les vies des Saints de Bretagne », 1901), il aurait accompagné Saint Gildas, moine d’origine britannique venu fonder l’abbaye de Rhuys. Bieuzy s’établit quelque temps dans nos terres, gagnant une réputation de guérisseur, avant de devenir martyr selon la tradition populaire.

  • Guérisseur de renom : Bieuzy passait pour soigner grâce à la prière, en particulier les maux de dents et de tête, maladies répandues à une époque où la médecine restait hasardeuse.
  • Martyr breton : La légende veut qu’il fut frappé d’un coup de hache à la tête par un seigneur jaloux, mais qu’il réussit à marcher, la hache plantée, jusqu’à Saint-Gildas-de-Rhuys où il rendit l’âme.

Bieuzy reste célèbre dans le Morbihan et au-delà. Outre la fontaine de Saint-Barthélemy, on retrouve son nom attaché à plusieurs sources, chapelles ou mégalithes (comme à Bieuzy-Lanvaux). Il fait partie d’un panthéon de saints bretons très présents dans la vie quotidienne et l’imaginaire populaire.

Une fontaine « miraculeuse », témoin de la Bretagne rurale

La fontaine Saint-Bieuzy à Saint-Barthélemy remonte vraisemblablement au Moyen-Âge. On trouve sa trace dans les archives locales dès le XVe siècle (source : « Patrimoine des communes du Morbihan », Flohic Editions, 1996). Elle est composée de granit, coiffée d’un petit édicule protecteur, et alimentée par une source captée. Cette architecture soignée, robuste, traduit l’importance du lieu pour la communauté.

  • Utilisation première : Alimenter le village en eau, bien entendu, mais aussi servir de point de passage lors des processions religieuses, lors du pardon annuel.
  • Position géographique : Toujours éloignée des axes principaux, sur d’anciens chemins, la fontaine faisait partie du « pays sacré » autour de l’église et de la chapelle Saint-Bieuzy, ancrant la foi dans chaque geste du quotidien.

La fontaine ne se résume pas à un trop-plein d’eau claire. Elle est, depuis des siècles, une source de croyances, d’attentes et d’espoirs pour ceux qui y viennent se recueillir. L’eau, symbole universel de pureté, deviendra ici le support privilégié de rituels.

Les croyances populaires autour de la fontaine Saint-Bieuzy

Si beaucoup de fontaines de Bretagne sont dites « miraculeuses », celle de Saint-Bieuzy est particulièrement chargée de rituels anciens. C’est que, dans une région si longtemps marquée par le christianisme populaire et le culte des saints, ces lieux sont au cœur de la vie locale.

Des pouvoirs de guérison

Le principal attribut de la fontaine Saint-Bieuzy est la guérison des maux de tête et des maladies nerveuses. Selon la tradition (inventaire général du patrimoine culturel du Morbihan), il fallait :

  1. Boire une gorgée de l’eau de la fontaine
  2. Rincer sa tête ou tremper un mouchoir dans l’eau pour l’appliquer sur le front
  3. Laisser une offrande sur la margelle : ruban, épingle ou pièce

À noter qu’une cérémonie spéciale, le « Pardon de Saint-Bieuzy », avait lieu annuellement : ce moment d’affluence attirait autrefois des pèlerins venus de tout le Morbihan. Ils espéraient une intervention du saint guérisseur. Ces rassemblements ont nettement diminué après la Seconde Guerre Mondiale, mais il arrive encore, aujourd’hui, que des habitants perpétuent discrètement le geste, en souvenir d’une époque où la médecine conventionnelle semblait impuissante.

Entre magie et foi : les pratiques oubliées

Dans la culture orale, certaines coutumes entouraient la fontaine. On raconte (Roger Leroux, « Croyances populaires et fontaines bretonnes », 1983) :

  • Que venir se laver à la fontaine protégeait des mauvais esprits, en particulier les « chanterelles », esprits malicieux de la région.
  • Qu’un vœu formulé en silence, tout en laissant tomber trois épingles dans la source, avait plus de chance d’être exaucé.
  • Qu’à la Saint-Bieuzy, un signe dans l’eau pure (une bulle, un léger clapotis) indiquait une année favorable.

Les échanges entre culture chrétienne et croyances préchrétiennes sont visibles : la figure de Saint-Bieuzy s’ajoute à celle de l’ancienne divinité de la source, transformant la fontaine en un espace où l’espérance se décline de mille manières.

Le pardon de Saint-Bieuzy : entre rituel et fête locale

En Bretagne, le « pardon » est un grand rassemblement communautaire, religieux mais aussi festif. Celui de Saint-Bieuzy avait traditionnellement lieu le dimanche suivant le 24 novembre, fête du saint. Procession, messe en plein air, chants bretons, puis partage d’un repas simple rythmaient la journée.

  • Procession à la fontaine : À travers chemins et talus, les paroissiens suivaient en chantant, menés par la bannière du saint, jusqu’à la fontaine. Là, le prêtre bénissait l’eau.
  • Rituel de guérison : Chaque personne venait recueillir de l’eau, qui était rapportée à la maison pour soigner ou offrir à la famille.
  • Jeux et repas champêtres : Traditionnellement, la fête continuait dans la cour de la chapelle, avec crêpes, far breton, et jeux d’adresse pour les enfants.

Aujourd’hui, le pardon s’est fait plus discret. Pourtant, il persiste sous une forme « de mémoire ». Pour beaucoup d’anciens du village, la fontaine Saint-Bieuzy reste le symbole d’une solidarité villageoise forte et d’une spiritualité terrienne, apaisée.

Un lieu entre préservation et oubli

La protection de la fontaine Saint-Bieuzy s’est renforcée à la fin du XXe siècle. Elle a fait l’objet d’un recensement lors de l’inventaire du patrimoine breton (cf. Service Régional de l’Inventaire – Bretagne), qui a constaté l’état fragile de nombreuses fontaines rurales.

  • Restauration : En 1997, la commune a procédé à un léger nettoyage de la source, la débarrassant de la végétation qui risquait de l’étouffer.
  • Statistiques locales : On dénombre environ 400 fontaines recensées dans le Morbihan, dont la moitié est aujourd’hui accessible ou entretenue. Celle de Saint-Bieuzy demeure un point fort de la mémoire locale.

Cependant, comme beaucoup de petites sources de Bretagne, elle reste menacée de l’oubli. Le manque de transmission des traditions, la rareté des visites, expliquent ce paradoxe : lieu exceptionnel pour l’histoire, presque oublié dans la modernité.

Une fontaine, un héritage vivant

La fontaine Saint-Bieuzy, par-delà ses vieilles pierres et son eau claire, raconte la forêt de croyances tissée autour d’elle. Ce lieu invite à repenser le rapport entre nature, sacré et communal. Qu’on y vienne par curiosité, pour ressentir cette « atmosphère » propre aux vieilles pierres de Bretagne, ou par attachement aux pratiques d’autrefois, il y a une force tranquille qui fait du bien.

Redécouvrir ces petites fontaines, c’est aussi renouer avec une histoire de la Bretagne rurale, faite de gestes simples, de respect du lieu, de silence partagé. La fontaine Saint-Bieuzy attend, discrète, que les promeneurs lui offrent un peu de leur attention et, qui sait, viennent y puiser une part de cet imaginaire collectif qui fait la richesse de Saint-Barthélemy.

Pour aller plus loin :

  • « Patrimoine des communes du Morbihan », Flohic Editions, 1996
  • Roger Leroux, « Croyances populaires et fontaines bretonnes », 1983
  • Service Régional de l’Inventaire — Bretagne (inventaire-patrimoine.region-bretagne.fr)

Pour aller plus loin