17/07/2025

Saint-Barthélemy, entre légendes et récits méconnus

Les sources légendaires du patrimoine local

Dans le centre-Bretagne, les légendes jouent depuis toujours un rôle particulier. À Saint-Barthélemy, elles s’enracinent dans les lieux les plus familiers : une fontaine, une pierre levée, le porche d’une chapelle. On les évoque en patois ou en français, chacun selon sa mémoire. Les recueils de l’Abbé François Cadic (fin XIXe siècle) et des collectages plus récents du Dastum (association pour la sauvegarde du patrimoine oral breton) attestent de la vitalité ancienne de cette tradition (Source : Dastum, “La tradition orale en Morbihan”).

  • La majorité des récits datent des XIX et XX siècles.
  • Les fêtes patronales et les veillées étaient des moments privilégiés de transmission.
  • Certains récits restent liés à la toponymie locale.

La fontaine Saint-Barthélemy et son eau aux pouvoirs singuliers

Une promenade s’impose vers la fontaine Saint-Barthélemy, située non loin du bourg, à l’ombre d’un bosquet de chênes. C’est ici, d’après les anciens, que l’on venait, jusqu’au début du XX siècle, demander la guérison des fièvres et des maux de tête.

  • La tradition voulait que l’on laisse un ruban coloré ou une offrande végétale après s’être lavé le front.
  • On raconte qu’une femme du village aurait été guérie d’une longue maladie des suites d’un pèlerinage à la fontaine (source orale recueillie par l’association Dastum, 1985).

Des collectes réalisées dans les années 1970 recensent encore ces gestes : trois tours autour de la fontaine, puis un souhait prononcé à voix basse. Un geste discret, partagé par une multitude de sanctuaires bretons, mais ici, teinté d’une couleur locale grâce à la statuaire représentant l’apôtre Bartholomé, reconnaissable à son couteau.

Contes de souterrains mystérieux : la chapelle Saint-Barthélemy

Plusieurs familles du bourg évoquent encore le mystère du “souterrain” sous la chapelle Saint-Barthélemy. L’accès en serait désormais bouché, mais il attise l’imagination :

  1. Le souterrain aurait servi de cachette à des prêtres réfractaires durant la Révolution (chronique de l’abbé Rolland, fonds privé, consulté par la mairie en 2011).
  2. D’autres voient dans ce couloir un passage reliant le presbytère à une maison noble aujourd’hui disparue, utilisé pour fuir les brigands au XVII siècle.

La réalité historique demeure incertaine, mais le récit fait encore parler les enfants qui, les après-midis de printemps, s’aventurent jusqu’aux abords de la vieille chapelle pour tenter d’en deviner l’entrée. Cette légende fait écho à de nombreux souterrains supposés ailleurs en Morbihan, preuve que la peur et l’attirance de l’inconnu connectent Saint-Barthélemy à l’universel.

Légendes de pierres et de lieux-dits

À travers le bocage bartholoméen, plusieurs “grosses pierres” servent de décor à des histoires rurales héritées du monde paysan :

  • La Pierre du Diable (au lieu-dit Penerez) aurait été lancée par le diable furieux de ne pas pouvoir nuire à la construction de l’église (recueil oral par Joseph Le Dour, 1932, Archives Départementales du Morbihan).
  • Des traces “de pas” sont encore montrées sur certains blocs : lors des Rogations, les enfants les touchaient dans l’espoir d’un bon printemps.
  • Le menhir de Kervago aurait abrité, selon la tradition paysanne locale, des “fées blanches” qui filaient pendant la nuit, mais ne devaient pas être dérangées sous peine de mauvaise récolte l’année suivante.

Dans ce terroir, chaque pierre semble ainsi raconter une histoire. Certains noms de lieux conservent la trace de ces anciens récits : “Ar Groac’h” (la sorcière en breton), “Bastard” (issu d’une légende chevaleresque) ou encore “Pré du Bonhomme” (où un ermite aurait vécu selon Ernest Le Floch, ethnologue, 1967).

Récits de processions et croyances populaires

Jusqu’aux années 1960, la procession du pardon de Saint-Barthélemy rythmait le mois d’août. Au-delà de la fête religieuse, ces rassemblements cristallisaient mille petites anecdotes transmises de bouche à oreille :

  • Il fallait marcher pieds nus pour que la pluie épargne les champs de blé.
  • On semait de la cendre devant la chapelle pour éloigner la “Noz”, l’esprit de la nuit. (Source : Enquête orale, Collectif “Mémoire du Morbihan”, 1997)
  • La statue du saint était supposée “pleurer” une fois tous les cent ans, nouveau signe de famine ou de bouleversement (aucun document écrit ne l’atteste, mais le récit circule encore).

Ces gestes, à la frontière du surnaturel et de la protection, traduisent le besoin d’ancrer une communauté dans ses croyances, loin de la ville et des bouleversements du siècle.

Petites histoires et anecdotes du quotidien

La mémoire collective de Saint-Barthélemy regorge aussi d’histoires moins “fantastiques”, mais tout aussi savoureuses :

  • Un meunier réputé avoir vu la “dame blanche”, qui l’aurait prévenu d’une inondation imminente, d’où le réaménagement des bords du Loch dans les années 1920.
  • Un vieil arbre creux, surnommé “l’arbre à secrets”, abritait, selon la légende, les lettres des amoureux qui n’osaient pas s’avouer leurs sentiments. Des fragments en ont été retrouvés scellés lors de son abattage en 1969 (Article du Télégramme, 1970).
  • Chaque été, on raconte que le “crieur de Launay” annonçait les naissances à la cloche près du marché, messager précieux avant l’arrivée des premiers journaux au village dans les années 1930.

Savoir-faire et métiers disparus : les contes du lavoir et de la veillée

Les veillées, autour du feu, ou bien lors des travaux au lavoir communal, étaient le théâtre de contes et de proverbes. On y apprenait :

  • Les histoires de la “marcheuse de la lande”, une revenante seule à oser traverser la brume pour ramasser les herbes médicinales (extrait du recueil “Souvenirs de Bartholoméens”, par Albert Le Hénanff, 1983).
  • Les enfants redoutaient la “louvetière”, sorte de loup-garou local dont la présence était censée expliquer la disparition inexpliquée de quelques volailles. Pourtant, aucune attaque avérée n’a jamais été recensée dans la commune selon les archives municipales de 1842 à 1939.

Dans ce monde où le travail manuel tenait toute la vie sociale, raconter son histoire ou celle de sa famille, c’était aussi affirmer sa place dans la communauté.

Pourquoi ces légendes importent encore ?

Au-delà de l’anecdote, ces légendes et récits portent une mémoire vivante :

  • Elles rappellent que le quotidien n’est jamais seulement “pratique” : il est traversé par des croyances, des craintes mais aussi de l’humour.
  • Les toponymes ou traditions locales trouvent une explication imagée et humaine.
  • Elles prouvent l’attachement du village à ses origines, même discrètes, et renforcent un sentiment d’appartenance au “pays” bartholoméen.

Aujourd’hui, alors que la vie moderne nous éloigne petit à petit de ces veillées et paroles partagées, plusieurs associations (La Mémoire de Saint-Barthélemy, Dastum, Mémoire du Morbihan) continuent de collecter photos, paroles et récits, comme autant de passerelles entre les générations. À chacun de tendre l’oreille lors d’une promenade ou d’une fête, il n’est pas rare d’entendre une de ces histoires renaître, avec toujours ce même plaisir un peu complice.

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