04/08/2025

Toponymie & traces du sacré : balade à travers les noms des hameaux de Saint-Barthélemy (56)

Un territoire imprégné de christianisme : repères historiques

La Bretagne, et le Morbihan en particulier, se caractérisent par une histoire religieuse dense, visible dans ses calvaires, chapelles et croix de chemins (source : Service régional de l’inventaire Bretagne). Saint-Barthélemy n’échappe pas à la règle. Dès le haut Moyen Âge, l’Église a structuré la vie collective : on baptise, on protège, on place sous l’égide d’un saint protecteur. Les communautés s’organisent autour de paroisses, souvent à la croisée de terres agricoles et des premiers hameaux.

  • Entre le 6 et le 10 siècle, la christianisation s’accompagne de la création de paroisses rurales (selon l’Atlas des paroisses rurales du Morbihan).
  • La fondation de Saint-Barthélemy elle-même remonte à l’établissement d’une première église dédiée à l’apôtre Barthelemy, symbole de regroupement.
  • Jusqu’au XIXe siècle, les implantations se font souvent autour de chapelles ou croix, points connus et lieux de rassemblement.

Au Moyen Âge, la toponymie se construit donc à travers la religion : prieurés, saints, lieux bénis marquent durablement les terres.

Saints bretons et toponymie : des noms qui racontent

Un rapide coup d’œil sur la carte de la commune permet de relever plusieurs hameaux ou lieux-dits dont le nom rappelle un saint ou un élément du patrimoine sacré.

  • Saint-Léon : à quelques kilomètres au nord du bourg, ce hameau doit tout à la petite chapelle dédiée à saint Léon, figure protectrice du monde rural. Autrefois, de nombreux pèlerinages y étaient organisés, jusqu’au milieu du XXe siècle (Inventaire régional du patrimoine).
  • Kervihan : la terminaison « -Ker » signifie « lieu » ou « village » en breton. « Vihan » veut dire « petit ». Rien de religieux, sauf que ce hameau s’est formé autour d’un ancien oratoire (aujourd’hui disparu), mentionné dans les archives paroissiales du XVIIIe siècle (Archives départementales du Morbihan, cote 16G).
  • Kersaint : littéralement « le village du saint », fréquent dans tout le département. Ici, le saint n’est pas toujours identifié, mais la référence a valeur de bénédiction.
  • Le Croisic : issu du mot breton « kroaz » (croix). Ce type de nom indique souvent la présence d’une ancienne croix de chemin, point de prière ou de procession.

À Saint-Barthélemy, près de 18 % des hameaux portent une référence explicite à un nom de saint, d’après le recensement cadastral de 1844 (consultable aux Archives du Morbihan). C’est légèrement supérieur à la moyenne du Morbihan (environ 15 % sur l’ensemble du département selon Ronan Calvez, Géographie religieuse de Bretagne).

Lieux sacrés disparus, noms persistants

L’influence religieuse ne s’arrête pas à l’église paroissiale. Beaucoup de hameaux gardent la trace d’anciens lieux de culte aujourd’hui disparus, mais dont le nom survit. Parfois, seule une pierre gravée, une fontaine ou la mémoire orale en témoignent.

  • Le Moustoir : issu de « mouster », monastère en breton. Il s’agissait autrefois d’un petit prieuré ruraux, détruit lors de la Révolution. Seule subsiste une croix, et le nom : Le Moustoir.
  • Saint-Mériadec : aujourd’hui simple hameau, autrefois siège d’une chapelle et lieu de pardon annuel (archivé jusqu’en 1946 dans le bulletin paroissial).

Dans ces cas, la toponymie est une forme de mémoire vivante : alors que les bâtiments disparaissent, la dénomination, elle, reste, rappel de l’importance culturelle du sacré dans la construction de l’identité locale.

Comprendre la structure des noms : analyse linguistique

Pour décrypter les noms de hameaux, il faut souvent s’intéresser à la langue bretonne, très présente dans la toponymie du Morbihan. Quelques clés reviennent partout sur le territoire :

  • Ker- : signifie « lieu, village ».
  • Lan- : évoque un monastère primitif ; on retrouve ce préfixe dans toute la Bretagne pour signaler une fondation religieuse ancienne.
  • Loc- : renvoie à un ermitage ou un endroit sacré, utilisé surtout dans le Finistère mais présent ici dans des variantes (Locmaria, etc.).
  • Saint- ou forme bretonne « Sant » : annonce la dédicace à un saint précis. Le fait de retrouver le prénom du saint indique son pouvoir tutélaire pour le village ou le territoire.
  • Custodes : nom dérivé de l’idée de gardien, utilisé dans quelques hameaux pour rappeler le rôle spirituel attribué à certains lieux (gardien du passage, protecteur des voyageurs).

Dans une commune comme Saint-Barthélemy, l’alternance du français et du breton dans la toponymie montre l’importance du double héritage religieux et linguistique. On trouve également des transformations phonétiques liées à l’usage oral, ce qui explique certaines différences d’écriture sur les cartes anciennes.

Entre croyances et coutumes : transmission et mémoire populaire

Longtemps, le nom d’un hameau n’était pas qu’un repère géographique : il situait, il protégeait, il disait aussi l’identité spirituelle du lieu. Le lien entre la population et son saint patron passait par les fêtes et processions. Jusqu’aux années 1960, on célèbre les « pardons » – comme à Saint-Léon ou à Saint-Barthélemy lui-même, grands rassemblements ruraux ponctués de rituels autour de la fontaine, de la chapelle ou de la croix.

Plusieurs noms de hameaux se sont transmis à travers la langue orale, bien avant leur fixation sur le cadastre. Il existe encore un usage familier du terme « aller à Saint-Mériadec », même si la chapelle a disparu.

  • Souvent, la topographie se mêle aussi aux croix érigées à la croisée des chemins : « Le Croisic », « La Croix du Pont », etc., qui servaient de repères lors des processions.
  • Le renouvellement des noms s’est parfois opéré au XIX siècle, lors des révisions cadastrales, quand on a transformé des sobriquets paysans en noms officiels (source : Morbihan, Dictionnaire des Noms de Lieux, Y. Guillamot).

Des traces matérielles encore visibles

Si nombre d’édifices ont disparu, la commune de Saint-Barthélemy conserve aujourd’hui :

  • 7 croix de chemins encore debout, toutes bâties entre le XVIe et le XIXe siècle (Base Mérimée, ministère de la Culture).
  • 2 chapelles (Saint-Léon et Saint-Mériadec), même si elles ne sont plus utilisées pour le culte régulier.
  • Des mégalithes réutilisés parfois pour marquer les limites de hameau et, selon la tradition orale, « bénis » par un recteur pour éloigner les mauvais esprits.
  • Une quinzaine de fontaines recensées comme « fontaines sacrées », parfois liées à la légende d’un saint guérisseur ou d’un miracle local.

Noms religieux, mutations et persistance aujourd’hui

La carte IGN actuelle fait apparaître plus de 25 hameaux ou lieux-dits référencés sur Saint-Barthélemy. Sur ce total :

  • 4 comportent un nom de saint ou d’élément liturgique.
  • 5 font référence à un édifice religieux, disparu ou existant.
  • 3 rappellent une tradition populaire chrétienne (procession, fontaine, bénédiction, etc.).

Dans les dernières décennies, la laïcisation du territoire a atténué le poids de la religion au quotidien. Mais la transmission orale, les panneaux routiers et la mémoire collective font vivre ces noms. Les nouveaux habitants, parfois venus d’autres régions, s’approprient ces appellations, conscients ou non de leur histoire.

Un patrimoine vivant à travers les noms

La toponymie religieuse est un patrimoine immatériel bien vivant. Elle pose chaque hameau au croisement de l’histoire, de la croyance et de la vie quotidienne. À Saint-Barthélemy, chaque nom raconte une histoire de communauté, de protection, de foi et de mémoire. Les promeneurs d’aujourd’hui croisent, au détour d’un chemin, ces échos silencieux du passé, discrètement inscrits dans les paysages.

La prochaine fois que vous lirez un nom sur un panneau ou qu’on vous indiquera une direction, gardez à l’esprit ce tissage invisible entre les lieux, les saints, la langue et la mémoire. Ce sont ces petits morceaux d’histoires entremêlées qui donnent, encore aujourd’hui, tant de relief à notre commune et à ses hameaux.

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