28/06/2025
Lorsqu’on traverse Saint-Barthélemy et ses paysages paisibles, il est difficile d’imaginer que ce village du Morbihan a connu, lui aussi, le poids de la tragédie et du courage, à l’image de tant d’autres communes françaises pendant la Seconde Guerre mondiale. Si peu de grands monuments ou de plaques spectaculaires évoquent cet épisode, c’est justement la discrétion de Saint-Barthélemy qui reflète la réalité de nombreuses petites communes : une guerre vécue au quotidien, dans la retenue, mais marquée par des choix, des actes de résistance et de solidarité.
À partir de juin 1940, la Bretagne, et le Morbihan en particulier, tombent sous occupation allemande. Saint-Barthélemy, bien que village modeste – on y comptait alors moins de 900 habitants –, n’y échappe pas. Les Allemands installent, dans de nombreuses communes voisines, des petits postes de contrôle, surveillant routes, ponts et axes ferroviaires.
Saint-Barthélemy, situé à proximité de Locminé et de la voie reliant Pontivy à Lorient, se retrouve dans une zone stratégique. Les fermes et maisons isolées servent parfois de lieu de passage pour les soldats. À quelques kilomètres, Locminé accueille un camp allemand, et des mouvements occasionnels de troupes traversent le secteur, notamment lors de la construction du mur de l’Atlantique sur la façade bretonne (source : Archives départementales du Morbihan).
La Bretagne, dès 1941, devient l’un des foyers de la Résistance. Saint-Barthélemy, avec sa campagne bocagère, propose un environnement propice à la discrétion et à l’abri. De petits groupes s’organisent, surtout en lien avec les villages voisins. Le Morbihan compte alors plusieurs maquis (Maquis de Saint-Marcel, le plus connu, à une vingtaine de kilomètres seulement) auquel participent des habitants de Saint-Barthélemy et des alentours (source : Fondation de la Résistance).
Noms et visages se transmettent encore dans les familles : par exemple, la famille Lefort – boulanger au centre du village – a caché et nourri, clandestinement, deux jeunes hommes du canton sous un faux statut de commis de boulangerie. D’autres ont payé ces gestes d’un séjour en prison, ou ont dû se cacher plusieurs semaines dans la forêt de Camors ou celle de Floranges toute proche.
La guerre s’inscrit aussi dans la mémoire orale. De vieilles lettres, retrouvées dans les greniers des maisons, évoquent l’inquiétude pour les prisonniers, la solidarité entre familles du village pour nourrir un enfant supplémentaire lorsque la famille est séparée. À la Libération, la fête du retour apporte un souffle de soulagement, mais aussi une mémoire douloureuse : la déportation de civils, les pénuries qui se prolongent encore deux ans, et le retour difficile à la vie quotidienne.
Une particularité du secteur : la présence de femmes engagées dans la Résistance, en tant qu’agentes de liaison. Plusieurs courriers mentionnent une institutrice qui transportait des faux papiers d’un bourg à l’autre cachés dans son cartable. Ce rôle féminin, bien qu’effacé dans les récits officiels, est reconnu lors des commémorations locales depuis les années 1990.
Pour mieux comprendre le rôle de Saint-Barthélemy, il est utile de replacer la commune dans le contexte de la région. Le Morbihan est l’un des départements où la présence allemande demeure la plus forte jusqu’à la fin de la guerre, en raison de la base sous-marine de Lorient (inaccessible aux Alliés jusqu’en mai 1945). La région abrite l’un des plus grands maquis de Bretagne, celui de Saint-Marcel, qui comptera jusqu’à 2 500 combattants en mai-juin 1944 (source : Fondation de la France Libre).
La Résistance locale y est très active sur cinq principaux points :
Des centaines de petites communes comme Saint-Barthélemy agissent en relais, parfois au risque de la vie des habitants. Les opérations de recrutement et d’aide aux maquis se font sous l’autorité du « commandant Morice » (Paul Chenailler), chef emblématique du Morbihan.
Au printemps 1944, l’intensification des actions de la Résistance entraîne des représailles. Dans le canton voisin de Baud, dès juin, plusieurs fermes sont incendiées. À Saint-Barthélemy, une opération de fouille ratisse le secteur début août, causant l’arrestation temporaire de huit hommes, qui seront relâchés faute de preuves.
Le 7 août 1944, les premières troupes américaines du 15th US Cavalry passent à trois kilomètres du bourg, en direction de Baud et Locminé, marquant le début d’une libération progressive dans la région de Pontivy. La joie est contenue ; la fin de l’occupation ne signifie pas tout de suite la fin des difficultés. La reconstruction commence lentement, et la commune accueille alors quelques familles réfugiées venues de la région de Lorient, alors encore sous les bombes.
Longtemps, la mémoire de la guerre à Saint-Barthélemy a été l’affaire de la sphère privée, transmise par des récits familiaux. Ce n’est que dans les années 1980 que des collectes de témoignages sont organisées par l’association « Mémoires du Centre-Bretagne », relayée par les écoles rurales et les bibliothèques municipales.
Le rôle de Saint-Barthélemy pendant la Seconde Guerre mondiale, s’il n’est pas marqué par de grandes batailles ou des faits d’armes spectaculaires, s’inscrit dans le tissu même de cette Bretagne intérieure : résistance tranquille, gestes de courage ordinaire, et attachement à la liberté. Il rappelle que, derrière les chiffres et les mouvements de troupes, ce sont des femmes, des hommes, des familles entières qui choisissent, parfois au péril de leur vie, d’affirmer leur dignité et leur humanité.
Aujourd’hui, ces traces subsistent dans les récits, les monuments, et la reconnaissance accordée par la commune à ses anciens. Marcher dans les rues de Saint-Barthélemy, c’est aussi se souvenir, et transmettre à travers les générations la réalité de cette histoire, faite de lumière et d’ombre, de peurs et de gestes solidaires.
Sources : Archives départementales du Morbihan, Ouest-France (Pontivy, archives 1944), Fondation de la Résistance, Fondation de la France Libre, « Cahiers de la Résistance en Morbihan », Plaques de Mémoire (Itinérance mémorielle du Morbihan, 2012).